Cleveland

Après Pittsburgh, voilà encore une ville d’étude qui n’était pas au programme. Au bord du lac Erie, Cleveland présente un peu les mêmes caractéristiques que Pittsburgh : population divisée par 3 en une cinquantaine d’années et tentative de renaissance par l’agriculture urbaine. Cette région des Etats-Unis était nommée la « Steel Belt » (ceinture d’acier) pour son activité de production d’acier. Depuis la fin de l’ère industrielle, on l’appelle la « Rust Belt » (ceinture de rouille, moins swag). Certains ambitionnent aujourd’hui de la transformer en « Green Belt » (ceinture verte).

Du houblon dans la ville

Notre première rencontre à Cleveland nous apprend qu’un community garden tout près de chez elle cultive du houblon. On trouve ça assez original comme culture dans un jardin et on comprend vite que la brasserie locale Great Lakes Brewing Company est un acteur très impliqué dans l’agriculture urbaine de la ville. Certaines cultures comme certains rangs de fraises ou d’aromatiques sont également destinés à aromatiser les bières. Même les particuliers ont la possibilité de vendre leur petite production à la brasserie, qui semble très impliquée dans le développement des quartiers et particulièrement dans l’agriculture urbaine. La brasserie principale possède par exemple un restaurant alimenté en majorité par des produits locaux provenant de la ville. La compagnie possède d’ailleurs un bout de terrain sur la plus grande ferme du pays.

IMG_8433Un début de plantation de houblon dans un community garden.

La plus grande ferme urbaine des Etats-Unis

C’est la plus grande ferme urbaine du pays (en tout cas c’est ce qu’on nous a dit, et on a pas trouvé à y redire pour l’instant), elle fait un peu moins de 3ha et se situe au cœur de Cleveland, c’est l’Ohio City Farm.

IMG_8453L’ohio City Farm et la skyline de Cleveland en arrière-plan

En plus d’être grande par la taille, elle est grande par le fourmillement d’activité qui s’y déroule. La ferme fonctionne sur l’initiative commune de cinq associations:

  • Cleveland Crops, une organisation qui possède 8 fermes dans Cleveland et qui a pour but principal d’employer des adultes déficients mentaux. A l’origine, l’association devait servir de plateforme de formation pour que les adultes puissent ensuite aller travailler sur d’autres exploitations. L’aventure ne s’est cependant pas déroulée comme prévu: exploitants sceptiques à l’idée d’engager des personnes mentalement déficientes, adultes formés réticents à l’idée de quitter une équipe dans laquelle ils sont impliqués, élargissement de Cleveland Crops et besoin de main d’oeuvre. L’organisation emploie aujourd’hui plus de 40 personnes.
  • The Refugee Response, qui s’emploie à fournir à des immigrés d’origine agricole des formations sur les spécificités de l’agriculture américaine, ainsi que des cours de langue anglaise.
  • Great Lakes Brewery, la brasserie dont on vous parlait plus haut, qui possède une partie du terrain et finance une partie des activités de The Refugee Response en échange de produits frais pour le restaurant de la brasserie.
  • Central Roots, une ferme urbaine à objectif commercial
  • CMHA Green Team, une association de résidents intéressés par des formations en agriculture urbaine.

Bref, il y en a pour tous les goûts, ça fourmille et c’est plutôt beau. Peu après notre venue, l’USDA (le ministère de l’agriculture des Etats-Unis) a reconnu l’Ohio City Farm comme un « modèle pour l’agriculture urbaine« 

L’incubateur de fermes

Dans nos péripéties à Cleveland, nous avons réussi à entrer en contacts avec plusieurs personnes de l’Université d’état de l’Ohio. Un de leurs projets nous intéressait tout particulièrement: un incubateur pour fermes urbaines. Le principe: fournir aux personnes ayant l’ambition de se lancer dans l’agriculture (urbaine ou rurale) un bout de terrain afin qu’elles puissent se frotter aux réalités du métier pendant quelques années avant de se lancer dans le bain.

IMG_8517Les futurs agriculteurs se voient offrir un demi-hectare de terrain avec un accès à l’eau courante

Pour 250$, les futurs agriculteurs ont accès à un demi-hectare de terrain pour trois ans. Le terrain appartient à la ville de Cleveland, qui fournit également l’eau courante sur chaque parcelle. Avec cette participation, ils ont également accès à des cours donnés par des spécialistes en agriculture de l’université. Le lieu sert également de « hub », de lieu de discussion et d’échange de savoirs entre les agriculteurs. Un peu comme pour Cleveland Crops, l’objectif premier était de former afin que les bénéficiaires des cours puissent ensuite prendre leur envol et installer leur exploitation, urbaine ou rurale. Et ce fut une fois de plus un échec et cela se comprend très bien: une fois que les agriculteurs ont travaillé pendant trois ans à rendre leur sol fertile, à travailler leurs rotations et à mettre en marche leurs systèmes, pourquoi voudraient-ils abandonner la parcelle pour aller s’installer ailleurs? Résultat: sur 12 agriculteurs formés depuis le début de l’opération, un seul a quitté l’incubateur. Mais à l’université d’Ohio, on ne s’en plaint pas et on rebondit en continuant à encadrer les différentes micro-fermes.

On notera ici,  comme à Washington DC, le rôle prépondérant de l’université dans le développement de programmes destinés au public, ainsi que celui de l’USDA qui a fourni une importante aide financière à ce projet via une subvention pour l’installation de nouveaux agriculteurs qui a permis la naissance du projet.

Du vin dans la ville

De la bière, on passe au vin. La production houblonnière semble plutôt bien développée dans la ville et ce, avec du houblon produit localement. De là à ce que quelqu’un se mette à produire du vin avec des vignes urbaines, il n’y a qu’un pas. Nous avons donc rencontré Mansfield, un journaliste cinquantenaire reconverti qu’on nous présente comme « un sacré personnage ».

IMG_8477Le vignoble de Château Hough, parce que « je m’appelle Château si je veux »

Cultiver de la vigne en ville est un projet plutôt original et nous n’avions jamais entendu parler de projets similaires avant. C’est donc enthousiastes (surtout après avoir lu ça notamment) et pleins de questions que nous rendons visite à Mansfield.

La première interrogation qui nous est venue en voyant le vignoble est celle du sol. Si il y a bien une culture qui nécessite un sol de haute qualité, c’est la vigne. Comment a-t-il donc fait? Cela semble incroyable. « J’ai eu de la chance » nous répond-il. Décevant comme réponse, hein? Comme le reste de cet interview et de ce projet par ailleurs.

Ravis de cette découverte en arrivant, nous sommes repartis très sceptiques, voire déçus par ce projet. L’intention du bonhomme est à la base plutôt louable, puisque son ambition est de « redynamiser le quartier ». Mais la façon dont il le présente est un peu moins classe que ça: « Je possède la maison juste en face et sa valeur a doublé depuis que j’ai installé ce vignoble ». Pour le reste du quartier, on n’en saura pas plus.

Le bon Mansfield est journaliste de profession, il nous explique qu’il n’y connait strictement rien en vin ou en vinification et que par dessus le marché, il n’a pas l’intention d’apprendre. Il n’ambitionne à vrai dire même pas de faire du bon vin. Il nous explique: « Ce vin sera fait entièrement à l’intérieur de Cleveland. Pour le marketing, c’est génial. Les gens vont s’arracher les bouteilles, même si le vin est mauvais ». Et effectivement, on l’a goûté, il est mauvais. Et le prix de la bouteille? Ah ben 100$, pas moins. Parce que les riches seront prêts à l’acheter de toute façon, hein. Il appelle ça lui-même de « l’esclavagisme inversé ». La formule fait sourire, à moitié, mais franchement on a vu mieux comme modèle économique.

Pour compléter le portrait, on peut rajouter que Monsieur va même jusqu’à mépriser l’univers du vin, tenant le discours facile de « oui mais vous savez, tous les vins c’est les mêmes, il n’y a pas de différences, ni d’experts œnologues, tout ça c’est du pipeau, donc je vois pas pourquoi j’essayerais de faire du « bon vin ».  On note aussi qu’il est -pour l’instant- le seul agriculteur urbain qu’on ai rencontré à utiliser pesticides et fertilisants d’origine chimique.

On dit pas, hein, ça va sûrement marcher son histoire. Il va certainement se noyer sous les billets et donner de la valeur à sa maison. Mais quand on met un projet comme ça à côté de projets comme Cleveland Crops, on ne peut s’empêcher d’être passablement irrité et quand bien même le vignoble emploie des gens du quartier ou des personnes en réinsertion sociale, la façon de faire et de présenter dérange. Bref, pourquoi pas, mais on a vu plus noble comme Robin des bois…

Du chanvre dans la ville

On a fait la bière et le vin, il ne nous reste plus qu’à enquiller sur la fumette. Culture de cannabis en pleine ville youpi!

Non en fait c’est pas vrai. Enfin si, mais pas exactement.

Nous nous sommes rendu dans une ferme du nom de Rid-All Green qui nous avait intrigué car elle fait partie du réseau GrowingPower sur lequel on reviendra surement dans un autre article. Nous sommes arrivé par hasard le jour où la ferme avait décidé d’organiser sa « journée du chanvre ». Plusieurs intervenants étaient présents afin de discuter de la culture de chanvre avec le grand public. Pour rappel, le chanvre est un cousin du cannabis utilisé entre autres pour le textile, le papier, des isolants thermiques etc. Il est justement sélectionné pour sa faible quantité en THC, la molécule psychoactive du cannabis. En France, tout va bien, il est tout à fait légal de cultiver du chanvre et de le transformer. C’est loin d’être le cas aux États-Unis. Vous savez probablement que certains États américains ont légalisé l’utilisation récréative du Cannabis. Dans ces États, la culture du chanvre est donc autorisé. En revanche, dans certains États -l’Ohio, où se trouve Cleveland, notamment – ce sont toutes les formes de Cannabacées qui sont interdites, sans distinction. Ainsi, l’inoffensif chanvre à textile se retrouve classé dans la même catégorie que les drogues dures de type héroïne ou cocaïne.

C’est donc tout un champ de possibilités qui est réduit à néant dans ces États, puisque le chanvre a également des utilisations potentielles en alimentation, en cosmétique, en industrie textile, en construction, etc… C’est pourquoi aujourd’hui, de plus en plus d’individus tentent de se mobiliser autour de la question et d’éclaircir les esprits quand à la question de l’utilisation du chanvre.

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A part ça, la ferme qu’on visite est une ferme dite de « démonstration ». Néanmoins, Rid All Green développe une petite activité commerciale sur d’autres sites de la ville et essaie d’entretenir l’expansion de l’urban farming dans la ville. Pour le coup, on comprend aussi qu’ici le but est avant tout de communiquer sur les bienfaits de l’agriculture urbaine et donc d’être une jolie vitrine qui donnera envie à d’autres de faire pareil près de chez eux!

2 thoughts on “Cleveland

  • Je cherche des constantes dans les différentes exploitations:
    – plutôt associatif
    – beaucoup d’insertion
    – économiquement pas toujours viable sauf si adossé à un modèle marchand
    – plutôt péri-urbain ?
    – plutôt écologique ( sauf le vilain canard du pinard….)
    – mais quid des rendements ?
    – principalement du maraîchage comme chez nous, jadis, les maraîchers étaient tous en lisière de ville…( Robertsau, Koenigshoffen, etc…)
    – transposable dans des villes où l’espace n’est pas rare….ce qui devient rare…………
    Au fait, vous pensez que vendredi, c’est la fête nationale au Canada ? Ca va donner……..

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