6 juillet 2020

Toulouse

En cette date symbolique du 18 juin, après 7 heures de train dans un merveilleux transilien, nous arrivons à Toulouse ! Nous sommes certes français, mais aucun de nous trois ne connaît vraiment la ville. Un soleil de plomb, de jolies façades roses nous en donne un premier aperçu. Mais ne traînons pas : il est temps de nous procurer des montures ! Direction les magasins de vélo de la ville ; tous dévalisés… Nous nous rendons finalement au Décathlon du centre-ville. Grâce à des vendeurs à notre écoute, nous avons pu obtenir les 3 derniers vélos du magasin ! Ouf, c’était moins une. Trêve de bavardages, qu’en est-il de l’agriculture urbaine à Toulouse ?

L’équipe Agrovelocity 2020 et ses montures

 

-Toulouse : une ville en pleine expansion

Toulouse est une des villes françaises connaissant une des plus grandes croissances démographiques. Sur l’année 2016, l’INSEE a recensé une augmentation de la population de l’agglomération toulousaine de 19000 habitants (+1,5%). Cela s’accompagne d’un étalement urbain et de l’imperméabilisation de sols cultivables. En parallèle, la ville a approuvé en 2019 son plan local d’urbanisme intercommunal d’habitat (PLUi-H), donnant une place importante à la végétation urbaine, et « en augmentant le potentiel alimentaire maraîcher local par des zones économiques dédiées par la création d’espaces vivriers urbains (jardins partagés et jardins familiaux) ».

EDENN : un projet porté par un collectif d’associations d’agriculture urbaine se regroupant dans le Nord de la ville

EDENN est un projet de création d’un écopole dédié à l’alimentation et à l’agriculture urbaine répondant aux enjeux d’accompagnement de la transition écologique. Il vise à aménager des jardins comestibles en milieu urbain, soutenir des petits producteurs locaux et favoriser l’économie agricole locale. Nombre d’associations participant à ce projet se regroupent dans le Nord de Toulouse, la zone historiquement maraîchère de la ville. Nous y avons rencontré plusieurs acteurs d’EDENN, à commencer par Terreauciel.

Nous avons rencontré Laurent Rougerie, ingénieur AgroParisTech et co-gérant de Terreauciel, à la fois bureau d’études en agriculture urbaine et atelier de paysage. Le volet Bureau d’études fait de la conception de projets d’agriculture urbaine, via notamment de l’assistance à maîtrise d’ouvrage. Ensuite, l’atelier de paysage conçoit des espaces verts incluant nécessairement du comestible. Axé essentiellement sur l’habitat, Terreauciel met en place des potagers en pied d‘immeuble sur du neuf comme de l’existant. La particularité de l’entreprise est de proposer un suivi après la fin du chantier, visant à insuffler une dynamique de gestion collective du potager. Plus concrètement, un membre de l’équipe va régulièrement voir l’état des projets finis sur place afin de s’assurer d’une évolution positive des jardins comestibles et de conseiller les résidents.

Les Carrés Maraîchers

Dans le cadre du projet EDENN, Terreauciel a récemment développé une nouvelle conception du potager urbain : les Carrés maraîchers. Sur un terrain anciennement en friche dans le Nord de la ville, des planches de cultures classiques sont divisées pour des jardiniers en herbe (voir schéma ci-dessous). Chaque jardinier loue 3 mètres de chaque planche. Dans ce modèle, Terreauciel travaille initialement le sol, fait les buttes de culture, met en place l’irrigation (goutte-à-goutte), sème et plante. Il incombe ensuite aux jardiniers louant les parcelles de les entretenir (désherber, pailler, tuteurer etc., en suivant le cahier des charges Agriculture Biologique) et de récolter. Terreauciel continue d’apporter son soutien tout au long du cycle de culture en encadrant les jardiniers en herbe. Une newsletter est notamment envoyée toutes les semaines (par exemple informant de la présence d’oïdium sur les petits pois, donc invitant les jardiniers à résoudre le problème via avec des solutions concrètes mises à disposition). De plus, une permanence est organisée tous les jours de 17h à 19h. L’objectif est avant tout pédagogique : apprendre l’agriculture urbaine, et ce même à des personnes n’ayant pas d’affinités particulières pour le jardinage, ou ne pouvant avoir un potager chez eux.

Plan des Carrés Maraîchers

Ce projet est encore au stade expérimental. Sur 1500 m2 alloués par la mairie de Toulouse, seulement 24 jardiniers peuvent être accueillis et Laurent Rougerie estime qu’il faudrait 15 unités comme celle-ci pour espérer être rentable. Cette expérimentation vise à déterminer le prix de location de la parcelle permettant une rentabilité si le concept se développe à plus grande échelle. Le résultat espéré et attendu est que ce prix à l’année soit inférieur au prix en Biocoop de la même quantité de légumes récoltés. Pour l’instant, les indicateurs sont au vert !

Sur le site des Carrés maraîchers s’est aussi installée la Milpa, une entreprise fondée en 2019 ayant pour vocation de créer des jardins potagers sur des espaces verts, traditionnellement non destinés au comestible. Mais c’est dans le quartier des Trois Cocus, que nous avons rencontré Romain Bouville, en plein entretien d’un potager en pied d’immeuble.

Le travail de la Milpa se découpe en trois phases : une activité de bureau d’études pour concevoir le projet, la création du projet, et une phase d’entretien de l’espace vert, incluant nécessairement du maraîchage. Le concept de l’entreprise consiste à mettre en place un potager, des prairies fleuries et des zones de biodiversité plutôt que d’entretenir les espaces verts de façon classique (tonte, taille des arbres etc.). Les terrains sont entièrement gérés par la Milpa, mais les résidents viennent parfois prêter main forte, poser des questions, et participent à la récolte. Ainsi, la Milpa est libre dans le choix des légumes plantés et des associations de cultures choisies. Sur chaque planche, au moins 3-4 cultures différentes sont associées (au moins un fruit, une feuille et une racine). Les habitants des logements peuvent se servir et bénéficient ainsi de légumes gratuits, locaux et de bonne qualité. De plus, ces espaces permettent de refamiliariser les citadins au bien manger et au métier de maraîcher. Beaucoup découvrent aussi des légumes qui leur étaient jusqu’ici inconnus !

Jardin entretenu par la Milpa au Trois Cocus

La Milpa est rémunérée par les bailleurs sociaux ou les promoteurs immobiliers au même prix qu’un entretien classique. Une des forces de cette activité est qu’elle est viable économiquement et ne coûte pas plus cher à l’entreprise à moyen terme. La Milpa a d’ores et déjà mis en place 3 potagers en pied d’immeuble pour des logements sociaux à Toulouse, dont le site visité et présenté sur les photos, situé dans le quartier des Trois Cocus.

D’autres associations participent au projet EDENN, parmi lesquelles Récup’Occitanie, qui utilise une méthode de recyclage anaérobie de la matière organique, le bokachi. Ils mettent à disposition de leurs adhérents des bio-seaux permettant la réalisation du processus. Ils vont aussi s’installer en bordure des Carrés Maraîchers. A Croquer, une association se fournissant chez des maraîchers de la région, propose des paniers de légumes aux entreprises et devrait aussi avoir leurs locaux dans la même zone. Celle-ci pourrait à terme constituer le pôle majeur d’agriculture urbaine de la ville rose.

-Des projets collectifs de potagers urbains se développant dans l’ensemble de la ville

Les jardins partagés à Toulouse, ça ne date pas d’hier ! En témoigne l’historique maraîcher de la ville. Toulouse, bien moins dense auparavant, comportait de nombreux potagers urbains individuels. Mais la densification et l’extension de la ville ont rayé nombre d’entre eux de la carte. La nécessité d’optimiser l’espace restant s’est alors imposée et des collectifs et associations ont vu le jour pour mettre en place des jardins partagés. Parmi eux, nous avons rencontré le collectif Pousse-Cailloux, association existant depuis plus de 10 ans. C’est dans le quartier de la Patte-d’Oie, niché sur un terrain exigu, que se trouve leur jardin. On y retrouve des cultures en tout genre (y compris nombre de plantes exotiques). Deux types d’adhérents composent l’association : les jardiniers qui participent activement à l’entretien du jardin, et les sympathisants, bénéficiant simplement des récoltes. Toutes les parcelles sont collectives et chacun des jardiniers est libre dans le choix de l’entretien de celles-ci. Il s’agit aussi d’un lieu de convivialité, où l’association organise régulièrement des évènements pour les habitants du quartier.

Jardin partagé du Collectif Pousse-Cailloux

Avant de s’installer, la ville (à qui appartient le terrain et le louant gratuitement) a réalisé un plan des pollutions du sol permettant à l’association de gérer au mieux leurs plantations comestibles (voir le plan des pollutions du sol ci-dessous). Rappelons en effet que la pollution aux métaux lourds est un problème récurrent de l’agriculture en ville.

Plan de pollution du sol du jardin

Retour dans le Nord de la ville, sur ces fameux terrains historiquement maraîchers où nous avons visité le Jardin partagé de La Salade, venant tout juste de voir le jour ! Et oui, de nouveaux jardins partagés continuent d’apparaître régulièrement dans la ville. Là où devait initialement être construit un nouvel ensemble immobilier, les habitants du quartier se sont mobilisés afin de plutôt verdir cet espace. Ils ont obtenu gain de cause : une partie des terrains a été transformée en parc, et l’autre (la partie visitée) en potager. La mairie a également mis en place des pompes d’arrosage reliées aux nappes phréatiques sous-jacentes, des abris de jardin et a fourni la terre et l’engrais. Il incombe ensuite aux membres de l’association de travailler la terre. Cette fois-ci, le jardin est divisé en parcelles individuelles et collectives. Le confinement a retardé le lancement du jardin et au moment de la visite seules les parcelles partagées avaient été mises en culture.

Adhérent du jardin de la Salade cultivant sa parcelle

A proximité de deux écoles (primaire et maternelle) et d’un centre de loisirs, ce jardin pourra aussi avoir une portée pédagogique. Une parcelle est notamment mise à disposition des deux écoles. Une maison de retraite à proximité pourra également bénéficier des jardins. Lors de notre visite, nous avons pu noter la grande diversité de classes d’âges présentes sur le jardin. De par sa situation géographique, il pourrait en effet permettre de tisser et renforcer les liens intergénérationnels dans le quartier.

-Une exception dans le paysage agricole urbain de Toulouse : la ferme Borde Bio

Située sur la zone maraîchère historique de Toulouse, nous avons visité une des plus grandes fermes maraîchères de la ville. Plutôt qu’adaptation à l’urbanisation, Borde Bio existait avant l’extension de la métropole toulousaine et la ferme s’est faite entourée par la ville. Les productions sont essentiellement sous serre et de saison, certifiées Agriculture Biologique et vendues localement. Il s’agit essentiellement de variétés classiques, afin de pouvoir se placer sur le marché standard des légumes.

Culture sous serres à Borde Bio

En plus de leurs propres légumes, Borde Bio vend aussi sur leur point de vente des légumes Bio d’autres maraîchers de la région. Cela permet de proposer un panel suffisamment grand aux clients afin deux les fidéliser. Les surplus de production de la ferme sont pour leur part vendus à des magasins Bio. Florent Sasse, qui nous a présenté son exploitation, laisse une grande autonomie à ses employés et ces derniers sont en autogestion. Il met en place les calendriers de production annuels et laisse à son chef de culture et ses employés la charge des plantations et de l’entretien des parcelles. Ce système permet notamment de fidéliser les saisonniers. La contrepartie de ce système est qu’il laisse peu de place à l’association de nouvelles cultures : la gestion autonome d’une parcelle n’est pas toujours coordonnée avec celle d’une autre.

Point de vente sur la ferme

-Des initiatives indépendantes signes d’un éveil collectif ?

Au-delà des projets collectifs, professionnels et/ou productifs, nous avons aussi pu découvrir des initiatives individuelles en matière d’agriculture urbaine. Nous avons rencontré Simon, habitant de Toulouse. Dans son jardin, il a mis en place un potager urbain impressionnant à l’échelle d’un particulier. Celui-ci permet à lui et son épouse d’être presque autosuffisants en légumes de saison et le surplus est destiné aux amis. Simon n’avait aucune connaissance agronomique initiale : Il a su développer petit à petit son expertise en s’informant sur les pratiques agroécologiques. Au départ usager d’intrants chimiques, il s’est vite tourné vers des solutions plus résilientes et respectueuses de notre environnement. Il récupère notamment du fumier auprès d’un producteur local. Selon lui, les résultats en termes de regain de biodiversité sont frappants. Il a aussi mis en place un système de récolte des eaux de pluie qu’il compte étendre dans le futur afin d’être autosuffisant en eau.

Jardin privé de Simon

Des particuliers se lancent dans l’agriculture urbaine mais pas que : voilà que des écoles de l’enseignement supérieur s’y mettent ! Toulouse Business School (TBS) a aménagé deux terrasses sur les toits de son campus dans le centre de Toulouse. Une première terrasse est mise à disposition du personnel et des étudiants. Ils y font notamment pousser des tomates et des herbes aromatiques. Des formations y sont aussi organisées pour le personnel afin de les éduquer à l’agriculture urbaine, où toutes les étapes de la production sont expliquées, du semis à la récolte. Le personnel est aussi sensibilisé au développement durable. La seconde terrasse a été aménagée en partenariat avec RecycloBat (entreprise réutilisant des matériaux de chantier) et l’association A Croquer. Elle est destinée aux étudiants, libres d’y faire pousser les cultures de leur choix.

Terrasse de TBS

A leur échelle, toutes ces initiatives ont été impactées par le confinement. Les associations du collectif EDENN n’ont pas vu leur dose de travail s’amoindrir mais ont globalement constaté un gain d’intérêt de la part des personnes passant à proximité de leurs projets. Les jardins partagés ont quant à eux été impactés dans leur fonctionnement. En effet, ne s’agissant pas de leur profession les adhérents n’étaient plus autorisés à accéder aux jardins. Il est encore trop tôt pour dire si la crise du COVID-19 a eu impact sur les mentalités et la volonté d’investissement individuel en agriculture urbaine. Néanmoins, pendant le confinement, Borde Bio n’a jamais connu une telle demande : cela témoigne de l’importance d’une production agricole locale. De plus, l’ensemble des acteurs rencontrés ont relevé une tendance positive autour du consommer local et par conséquent de l’agriculture urbaine. Une étude statistique serait pertinente afin de quantifier cette possible évolution des mentalités à Toulouse.

Il est temps pour nous de plier bagages et d’enfourcher nos destriers pour Montpellier. A très vite pour de nouvelles informations sur l’agriculture urbaine dans le Sud de la France !