Detroit

Detroit aura eu cela d’intéressant que la découverte de son agriculture et de son urbanité nous sont arrivés dessus sur un plateau, sans qu’on cherche plus que ça. Entre chance et utilisation de réseau, nous avons fait tout un tas de rencontres liées à l’agriculture urbaine et nos angles d’attaque s’en sont trouvés un peu changés.

Plus de terrain qu’il n’en faut

On vous avait déjà parlé de la Rust Belt dans l’article sur Cleveland. Detroit en est l’exemple le plus extrême. Pendant des dizaines d’années, toute l’économie a été fondée sur la construction automobile. General Motors et Ford y ont notamment établi leurs quartiers. Mais depuis qu’il est devenu trop couteux de produire des voitures sur le territoire, le chômage s’envole et la population dégringole. Pour plus de détails sur cette ville, voir cet autre article, ou encore celui-là. Globalement, la ville est vide, parfois on se croirait même en pleine nature, c’est assez impressionnant et déroutant et ça donne l’impression que la ville est triste, mélancolique. Les allées abandonnées, les bâtiments industriels délabrés ou encore les maisons brûlées dans chaque rue, tout ça donne l’impression que la ville est à bout de souffle depuis un moment, figée dans une torpeur incurable.

IMG_8684Une fois sorti du centre d’affaire, Detroit, le plus souvent, ça ressemble à ça.

Il reste encore un Downtown plutôt animé, mais dès qu’on en sort, on se retrouve rapidement confronté à terrain vacant sur terrain vacant.  Mais comme dans les autres villes de la Rust Belt, toutes ces terres deviennent une aubaine pour l’agriculture urbaine, car les terrains sont faciles à se procurer. En tout cas en théorie.

Lorsque la ville de Detroit a commencé à faire faillite il y a des dizaines d’années de ça, la mairie a pris la décision de vendre de nombreuses parcelles à l’Etat du Michigan. Aujourd’hui, la mairie se retrouve donc avec un nombre très limité de terrain qu’elle cède donc difficilement à des particuliers, même avec un projet solide. Si vous êtes Detroitien et convoitez d’établir une ferme sur un terrain municipal, vous risquez donc de vous heurter à pas mal de barrières. En revanche, si le terrain que vous visez appartient à l’Etat, vous avez de bonne chance de vous en tirer pour un bon prix. L’exemple le plus frappant: si vous habitez une maison adjacente à un terrain abandonné, vous pouvez l’acquérir pour la modique somme de 100$ l’hectare. Plutôt honnête.

IMG_8657La disponibilité du terrain permet aux fermes urbaines d’occuper de larges espaces. Ici, on voit le verger de Food Fields (la fameuse ferme où on a campé), qui occupe 2ha

L’aquaponie à Detroit : fausse bonne idée?

Grâce au puissant réseau de Montpellier SupAgro, nous avons pu loger durant quelques jours chez un jeune homme qui travaillait dans une ferme aquaponique. La première du genre à Detroit et la première ferme aquaponique d’échelle commerciale que nous croisons.

Pour ceux qui n’ont pas de notion de ce qu’est l’aquaponie, pour résumer, il s’agit d’un système de culture hors-sol qui mêle aquaculture (l’élevage de poissons ou autres animaux aquatiques) à l’hydroponie (la culture de plantes hors-sol, en faisant passer de l’eau riche en nutriments au niveau des racines).
Sans s’embarquer dans trop de détails:

  • Les poissons font caca dans l’eau,
  • On pompe l’eau pleine de caca dans une bac ou pousse les plantes,
  • Des bactéries transforment le caca en quelque chose de consommable pour la plante,
  • La plante absorbe la matière consommable pour pousser et nettoie l’eau par la même occasion.
  • L’eau ainsi purifiée est renvoyé dans le bac des poissons
aquapoDocument personnel

A la fin, on récolte les plantes et on tue les poissons : double production. De tels systèmes permettent de plus des économies d’eau et de place car il serait 2 à 3 fois plus efficace qu’un système « classique ».

C’est donc ce que fait la CDC Farm Fishery à Detroit. Sous l’impulsion d’une organisation ayant pour but de dynamiser le quartier, cette ferme commerciale vend poissons et herbes aromatiques à des restaurants ainsi qu’à des magasins.

IMG_8658La CDC Farm Fishery, vue de l’extérieur, parce qu’on a pas eu le droit de photographier l’intérieur.

Alors en soi, nous on trouve ça super cool, l’aquaponie. Ca a plein d’avantages, comme on vient de vous le dire. Mais nous on s’est rapidement posé plusieurs questions: pourquoi vouloir économiser de la place dans une ville qui en offre tant? Pourquoi vouloir faire du hors-sol alors qu’on a du bon sol disponible un peu partout? Pourquoi vouloir économiser de l’eau alors que Detroit est au bord du lac Erie, le plus grand réservoir d’eau douce des Etats-Unis? Et puis quel est l’intérêt de se couper de la lumière du soleil en s’enfermant dans un bâtiment pour payer des factures d’électricité de dingue?

Et il s’est avéré qu’on avait un peu raison… Dans la semaine où nous étions à Detroit, notre hôte a reçu un appel d’un de ses supérieurs lui annonçant qu’il y avait de forte chance pour que la Fishery doivent déposer le bilan, faute de rentabilité. Effectivement, factures d’électricité exorbitantes pour faire marcher pompes, ventilation et éclairage artificiel, dépenses très élevés en matériel technique, la ferme n’a pas su se montrer rentable pour l’instant et n’a pas non plus pu concurrencer les fermes de plein sol qui n’ont aucune de ces contraintes. Alors l’aquaponie, oui, mais pas partout, et apparemment pas ici.

1900 parcelles de sylviculture urbaine?!

Planter des centaines de milliers d’arbres sur 1900 terrains abandonnés, c’est le projet de John Hantz, riche homme d’affaire ayant fait fortune dans la finance. 1900 parcelles, soit à peu près 80 hectares, dans la ville, rien que ça. Et c’est même maintenant plus qu’un projet ou un rêve, c’est une entreprise qui porte le nom de « Hantz Woodlands« . La « ferme » a racheté petit à petit des terrains à la ville de Detroit, à l’Etat du Michigan ainsi qu’à des particuliers et se retrouve aujourd’hui à la tête d’un petit empire agri-urbain.

A ses débuts en 2009, le projet a eu des débuts difficiles, se heurtant d’abord aux résidents des quartiers concernés qui ont eu l’impression qu’un colon débarquait pour voler leurs terrains et faire de l’argent sur leur dos. La mairie n’était pas non plus super enthousiaste à faciliter un projet d’une telle envergure comme vous pouvez vous en douter vu ce qu’on vous a expliqué plus haut (d’autant plus que les 3/4 des parcelles lui appartenaient). Mais à force de communication et de discussion, le projet semble plutôt bien accepté. Pour preuve, en 2014, le travail d’un bon millier de volontaires a déjà permis de planter 15.000 jeunes plants d’érable et de chêne sur 8 ha de parcelles et tout ça, en moins de deux heures!

 IMG_8698Des érables plantés sur une parcelle abandonnée. Ont également été plantés chênes, boulots et tulipiers. Des cerisiers sont en préparation

Pour l’instant cependant, pas vraiment de projets précis quant à la valorisation des arbres. Plusieurs pistes sont envisagées: vendre le bois d’ici 40 à 60 ans, déterrer les jeunes arbustes pour les vendre pour du paysagisme, les laisser en place pour créer de véritables forêts urbaines ou encore vendre sirop d’érable, glands ou autres fruits provenant des arbres. « Nous prendrons des décisions dans les années qui viennent » nous explique Michael Score, le président de Hantz Farm.

Le fourmillement des marchés fermiers

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Entre le début des années 2000 et aujourd’hui, le nombre de community gardens serait passé d’une petite centaine à plus de 1400. En plus de ça, un bon nombre de fermes ont simultanément vu le jour dans l’enceinte de Detroit. Une bonne partie de la production va directement à ceux qui l’ont cultivée, mais de nombreux marchés fermiers se sont également développés à travers la ville.

On vous avait parler des « Food Deserts ».  Avec tous ces quartiers abandonnés et la banqueroute de la ville, vous pouvez vous douter qu’à Detroit, la situation est plutôt dramatique. Acheter la production des fermes urbaines est donc devenu le moyen le plus simple, rapide et bon marché de se procurer des fruits et légumes frais. Les systèmes d’AMAP (ou plutôt CSA – pour Community Supported Agriculture- aux USA) se sont donc développés très fortement, ainsi que les marchés. Le Eastern Farmers Market qui se tient tous les samedis est sans doute le plus gros de Detroit et comprend un nombre assez impressionnant de stands de légumes produits en milieu urbain.

La ferme « Black Power »

Il existe à Detroit une association fortement liée à l’agriculture urbaine dénommée « Detroit Black Community Food Security Council » qui a pour objectif de faire peser la communauté noire dans les négociations de la ville concernant l’alimentation. « Il y a plus de noirs que de blancs à Détroit et pourtant, le conseil pour l’alimentation est constitué exclusivement de blancs » nous explique Kadiri Sennerfer Ra, gérant de D-Town Farm, la ferme du mouvement, dans laquelle sont formés des jeunes hommes et femmes des communautés noires pauvres .

Au début, on a été un peu surpris, parce qu’il est vrai que le politiquement correct à la française ne nous permettrait pas de monter un jardin qui s’appellerait « Ferme urbaine des noirs ». Et au bout d’un moment, on a fini par se demander ce qu’il se passerait si un jeune blanc issu d’un quartier pauvre se présentait à la porte de la ferme. Est-ce qu’on le refuse? Nous avons ouïe dire de l’histoire d’une jeune étudiante blanche qui aurait tenté de faire du volontariat dans la ferme et aurait été purement et simplement renvoyée chez elle du fait de sa couleur de peau. Alors qu’elle venait faire du bénévolat quand même. Bref, toute cette histoire nous a  vraiment intrigué, alors on a essayé de rentrer en contact avec les directeurs de l’association. Ça a été difficile, on a du rappeler une bonne dizaine de fois, mais on y est finalement arrivé depuis le Canada (et donc au prix d’une communication à prix fort!).

Et finalement, il semblerait que les ouïes-dires étaient du domaine de… de l’ouïe -dire justement. La personne à qui nous avons parler a insisté très rapidement sur un point : « Nous sommes obligés de mettre « Black » dans notre nom pour que les gens comprennent où on veut en venir. Mais il ne s’agit pas de blancs et de noirs. Il s’agit d’équité, d’égalité dans l’accès à l’alimentation. » Donc certes, un focus sur les droits des populations noires, mais on évite à tout prix le communautarisme et le racisme anti-blanc. « Au final, nous avons pas mal de blancs qui travaillent. La seule chose que nous demandons à nos employés, c’est une compréhension de l’histoire et de la condition des African-Américans ».

Le bonus rigolo

Au détour de nos promenades dans Detroit, on est tombé sur un jardin communautaire qui a la particularité de se transformer en terrain de hockey sur glace. Lorsqu’il fait assez froid et que la neige est bien installée à Détroit, la parcelle centrale, laissé vide à cette effet, est recouverte d’eau par les habitants afin de pouvoir chausser les patins à glace et ressortir les crosses. Eh oui, on s’approche du Canada.

IMG_8661Les crosses de Hockey attendent tranquillement l’hiver et se laissent enlacer par les vignes sauvages.

Fin des aventures à Détroit, et la suite nous direz-vous? Le plan de base était de se rendre à Chicago avant de partir des États-Unis. Malheureusement, les plans ont changé et l’aller-retour en vélo pour Chicago dans l’Indiana nous aurait fait perdre un temps monstrueux sur des routes même pas agréables à rouler. D’autant plus que Chicago est une ville très, voire trop connue pour son agriculture urbaine et qu’en étudiant ce qu’on pourrait y faire, on a déjà lu 90% de ce qu’il y avait à y voir sur internet. Bref, on privilégie donc la qualité à la quantité pour la suite du voyage et la prochaine ville qu’on vous présentera sera Toronto!

3 thoughts on “Detroit

  • Aaaaah… le fameux reseau Supagro !!!

    Detroit c’est quelque chose quand meme. Et j’en garderai de tres bons souvenirs… Je suis contente que vous ayez pu voir pas mal d’initiatives. Meme moi en 4 mois je ne n’ai pu toutes les decouvrir.
    Vivement l’article sur Toronto !

    Ride safe 🙂

  • Chez Hantz Woodlands: les jeunes agronomes, vous pensez que ces érables ont une bonne espérance de vie, plantés comme ils le sont ? Ils vont s’étouffer les uns les autres, parvenus à l’âge adolescent, foi de propriétaire d’érable adulte………….
    Ceci dit, vos articles sont super intéressants et bien écrits….. un petit délice !

  • Vraiment sympa! Surtout le jardin patinoire!
    Dommage pour Chicago! Même si c’est en effet relativement connu il y a pas mal de nouveaux projets intéressants.. notamment sur toiture.; J’y vais en aout, je vous dirais si ça en valait la peine 🙂
    Et puis concernant l’aquaponie, je ne comprends toujours pas pourquoi les porteurs de projet s’efforce de produire dans des systèmes fermés et non dans des serres plus « conventionnelles » avec utilisation du soleil naturel .. affaire à suivre : )

    Hâte de voir Toronto aussi et de voir la vidéo le 12 juillet 18h00!! RV pris!

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